Chaque message est, au moins implicitement, la réponse d’un message de quelqu’un d’autre qui était à son tour, une réponse à une intervention d’un autre, etc. Notre capacité pratiquement infinie de dialoguer peut éveiller et favoriser des échanges et des débats afin d’instaurer un vrai climat de coexistence, de fraternité et de bien vivre entre tous les citoyens marocains.
[…] Notre pays en est d’autant plus content et fier que l’objet de vos préoccupations n’avait rien de commun avec ce matérialisme si envahissant de nos jours. Bien au contraire, vous avez recherché les voies qui mènent aux valeurs spirituelles et qui permettent à l’humanité de gravir l’échelle du progrès vers un monde meilleur.
C’est pourquoi Nous avons suivi vos travaux avec intérêt et attention. Nous découvrions que vos idées correspondaient à Nos soucis les plus constants et les plus profonds. Nous avons toujours préconisé un rapprochement entre les religions et les races par des échanges de vues et par une collaboration dans une recherche basée sur la raison. Nous sommes persuadés que c’est là le meilleur moyen qui permettra l’interpénétration des peuples et l’enrichissement des cultures. Nous pensons que c’est grâce à de tels efforts que l’humanité a avancé dans la vie de la civilisation et a pu parvenir aujourd’hui à un stade élevé dans tous les domaines.
La présence d’hommes éminents venus d’Europe, d’Afrique et d’Asie, la participation de représentants de confessions religieuses, d’hommes qui s’intéressent au progrès social de l’humanité, de personnalités appartenant au monde des sciences et de la politique, tels le célèbre orientaliste M. Louis Massignon, n’a pu que rehausser l’éclat de vos réunions et susciter un intérêt plus vif, au Maroc et à l’étranger. D’autre part, les cessionnaires se sont penchés sur l’étude de problèmes intéressant divers domaines et dont l’importance mérite d’être soulignée…
[…] Trait d’union entre le monde oriental et le monde occidental, creuset où viennent se fondre diverses cultures, le Maroc doit figurer parmi les nations qui s’intéressent aux choses de l’esprit et qui œuvrent pour le progrès des connaissances humaines…
[…] Vous savez que la morale, les valeurs spirituelles, la vertu et le civisme, constituent les fondements de la cité en Islam. Ce sont ces mêmes principes auxquels Nous sommes attachés, que Nous préconisons et que Nous n’avons cessé se défendre. Car Nous sommes convaincus que c’est là la seule voie du progrès et de la civilisation.
Le Maroc nouveau n’entend nullement s’isoler et se refermer sur lui-même. Nous avons la ferme volonté de faire de ce pays une communauté ouverte entretenant des relations avec tous les pays sur la base de la coopération et de l’échange. Pays arabe et musulman, le Maroc est une terre d’accueil et d’hospitalité…
(Confluent,n°7, décembre 1956,p.6-7)
[…] Il n’est pas un Marocain qui ne soit universaliste. Parfois, Il apparaît étriqué. C’est tout à fait normal. Il ne s’est pas encore totalement débarrassé de son complexe. Mais donnez-lui encore deux ou trois ans, laissez-le libérer sa personnalité, mais à ce moment-là il se donnera à vous, au monde, avec beaucoup de libération, car il aura moins de complexes. Il est indépendant depuis un an, à peine deux ans, et chaque manifestation de l’étranger, il la voit comme étant peut-être une réminiscence d’une période qu’il a combattue, d’un régime dont il n’a pas voulu.
[…] Dans ce pays que Sa Majesté le Roi espère voir devenir le trait d’union entre l’Orient et l’Occident, eh bien dans ce pays, Mesdames et Messieurs, vous êtes chez vous. Car l’homme de bien, le Croyant, l’homme honnête est partout chez lui. En réalité, lorsque nous remontons aux sources des religions, que ce soit la religion hébraïque, la religion chrétienne ou la religion musulmane, il ne nous est point dit : « Ne faites point votre prière dans la nature. » Au contraire, le monde est la maison de dieu. Chaque Croyant peut y faire sa prière. Chaque Croyant peut y rencontrer son dieu. Chaque Croyant peut y retrouver son idéal. Alors, ce pays qui est le vôtre est surtout la maison de Dieu, elle est celle de tous les Croyants, celle de tous les hommes qui ont des aspirations égales dans un monde meilleur.
* Session 1957, thème Éducation. Brillante conférence devant 150 cessionnaires de 26 pays.
Le prince Moulay El Hassan parlant aux enfants d’azrou, leur recommande de suivre les conseils des moines comme ceux de leurs propres pères :
« Vous savez que vos pères ne vous conseillent jamais rien de mauvais, parce qu’ils vous aiment. De même, les Pères vous aiment ; vous pouvez être sûrs qu’ils ne vous enseigneront jamais rien que de bon ».
Propos rapporté par le Père Denis lors de son discours inaugural des cours d’été de Toumliline, en août 1956.
La Princesse Lalla Aïcha a fait un exposé très remarqué et remarquable sur l’émancipation de la femme marocaine* et principalement sur le port du voile où elle a exprimé courageusement son opinion qui était aussi, soulignait-elle, celle de son père, le Roi Mohammed V :
« Harmonieusement, sans heurts, la femme doit être amenée à faire partie intégrante de la vie du pays.
L’émancipation doit être consentie comme une libération de la personnalité, un enrichissement, un épanouissement de l’individu, et non comme une attitude anarchique, s’attaquant artificiellement à certains éléments extérieurs, tel le voile par exemple.
Le voile a toujours été considéré comme le symbole même de la condition inférieure de la femme. Le supprimer, a-t-on pu penser, c’est du même coup rendre à la femme sa liberté, lui enlever son bâillon qui l’empêche de respirer et de s’exprimer.
C’est là une vue quelque peu artificielle du problème. Seule compte la prise de conscience par la femme de ses droits et de ses devoirs. Le reste va de soi. Libre de se déterminer, libre de choisir, la femme pourra à loisir enlever le voile ou le garder, mais alors elle le gardera comme une parure et non comme un bâillon ou un carcan. »
(Toumliline 2 : Aspects de l’éducation, Publication du monastère de Toumliline, Rabat, Ecole du Livre, 1958,p.153.)
* Session 1957, thème : Èducation
Lorsqu’il (P. Denis) avait commencé à fréquenter le Grand Cheikh de l’Islam au Maroc, le Fqih Bel Larbi El Alaoui, le colonel Clesca aussi bien que le général Miquel l’avaient tous deux averti qu’il était le pire ennemi de l’Eglise du Maroc. On lui avait raconté l’incident qui avait eu lieu pendant une conférence de Bel Larbi à des étudiants de l’Université de Karaouiyine à Fès. Le son des cloches d’une église catholique avait pénétré dans la cour où ils se trouvaient. « Voilà notre véritable ennemi, avait dit le Fqih aux étudiants, n’ayez aucune cesse que vous ne l’ayez chassé de notre pays. ».
Mais lorsque le P. Prieur fut devenu assez intime avec le théologien musulman, il lui demanda si l’histoire était vraie. Le Fqih l’admit parfaitement, mais il ajouta qu’alors il ne distinguait pas entre l’Eglise et les autorités françaises. « Tandis que maintenant, dit-il, ce que je vous vois faire à Toumliline m’a aidé à faire la distinction.
Plus tard, après de nombreuses conversations au cours desquelles chacun arrivait à comprendre les aspirations de la religion de l’autre, Bel Larbi admit une chose surprenante. « Je respecterais la conversion d’un musulman au christianisme comme je désirerais la vôtre à l’Islam. Mais bien sûr, un tel désir doit toujours respecter la personnalité et la liberté de conscience des autres. La conversion ne peut se faire par la violence ni par les arguments, mais par le rayonnement d’une vie vécue en accord avec cette vérité. ».
Peter Beach et William Dunphy, Benedictine and Moor : A Christian adventure in moslem Morocco, 1960, p.55.
Mahjoub Aherdane, dans un entretien accordé aux Archives du Maroc et la Fondation Mémoire pour l’avenir.
« Ce qui est dommage, c’est qu’on n’a pas laissé vivre ce monastère. Notre religion n’était pas menacée (…). Ce sont des gens de Dieu, des gens qui font le maximum pour aider, et ce sont des gens ouverts »
Dans ses mémoires, Mahjoub Aherdane évoque cette expérience pilote unique en son genre « J’ai conservé un sympathique souvenir des bénédictins présents à Toumliline, non loin d’Azrou. Le rapprochement des religions, évidemment sans lendemain, eut son temps de gloire et de piété partagée entre les tonsurés, mains jointes en une prière murmurée, et des musulmans cravatés qui découvraient Jésus en même temps que les cèdres du Moyen-Atlas et l’existence de singes dans les forêts du pays. (…) Pour un temps, chrétiens et musulmans y étaient devenus frères…
« Car nous n’avons pas fait leur connaissance comme les gens qui se croisent dans les rues, mais comme des hommes de la même famille, ou bien comme des pèlerins qui voyagent ensemble vers une patrie commune, comme des hommes qui partagent la même maison, le même toit, le même repas. Nous avons compris, plus intimement qu’autrefois, que nous sommes copropriétaires des richesses bien plus durables, moins passagères que les choses de ce monde, c’est-à-dire, des valeurs spirituelles, profondes et primordiales »
Un témoignage vraiment émouvant du philosophe américain dans le Wisconsin recueilli par la Revue Confluent dans son numéro 17 cite ainsi : Tweet
« Entendre un prince musulman traiter de l’éducation dans un monastère bénédictin, cela n’est pas banal ! Il faut qu’il y ait une bien grande amitié entre ces moines et le Maroc pour que la famille royale et des membres du gouvernement marocain participent ainsi à la session et acceptent de répondre à toutes les questions -il y en aura et bien des périlleuses ! »
L’ethnologue française Jeanne Saada dans le journal La Croix, le 28 septembre 1957. Tweet
« Car nous n’avons pas fait leur connaissance comme les gens qui se croisent dans les rues, mais comme des hommes de la même famille, ou bien comme des pèlerins qui voyagent ensemble vers une patrie commune, comme des hommes qui partagent la même maison, le même toit, le même repas. Nous avons compris, plus intimement qu’autrefois, que nous sommes copropriétaires des richesses bien plus durables, moins passagères que les choses de ce monde, c’est-à-dire, des valeurs spirituelles, profondes et primordiales »
Un témoignage très saisissant d’un participant, Mr James H. Robb, professeur dans le Wisconsin, recueilli par la Revue Confluent dans son numéro 17 : Tweet