"Comme la tolérance, la philosophie est un art de vivre ensemble, dans le respect des droits et des valeurs communes. Elle est une capacité à voir le monde à travers un oeil critique, informé du regard des autres, fortifié par la liberté de pensée, de conscience et de croyance"

Mme Irina Bogotá

past directrice générale de l'UNESCO

Lettre ouverte
à M. le Président de la République française

En lisant quelques-unes de vos déclarations depuis que vous êtes président, je peux reconnaître que j’ai éprouvé une certaine reconnaissance envers vous principalement pour deux raisons :

1/ D’abord, votre courageuse déclaration faite en Algérie où vous avez dénoncé la colonisation : « C’est un crime. C’est un crime contre l’humanité. C’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes ». Vous avez même osé de confier une mission très délicate à l’historien Benjamin Stora afin de vous préparer un rapport sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » pour une « une réconciliation mémorielle ». Je salue sans modération votre courage Monsieur le Président.  Qui vivra verra !!!

2/ Ensuite, vous avez pris une position claire et dénuée d’ambiguïté lorsque vous avez reconnu que la France est responsable de la déportation des personnes d’origine juive vers les camps de la mort et qu’il y a bien eu un antisémitisme en France avant et après la seconde guerre mondiale. Apparemment, le poids de l’histoire continue à hanter la mémoire de millions de Français.

Mais la comparaison s’arrête là. Dépoussiérer des dossiers explosifs au moment où des réflexes primaires de peur, d’hostilité, d’arbitraire, d’intolérance, du déni voire de haine envers l’Autre, de culture et de religion différentes sont relayés par des médias du monde entier.

Les valeurs du vivre ensemble sont-elles encore d’actualité en France ?

Ce que nous entendons de l’Autre en France, depuis un certain temps, n’est pas du tout réjouissant, envahisseur, intrusif, incongru à la nation. Cet Autre ne rencontre qu’un rejet quasi instinctif. Des propos toxiques sont débités à longueur de journée, des idées infectieuses sont distillées d’une manière hystérique, irresponsable sur des plateaux de télévision, dans les médias, dans les réseaux sociaux par des politiciens, des journalistes, des intellectuels, d’une partie de la population et même du Président de la république française où les seuls visés en permanence sont encore et toujours les musulmans. C’est inacceptable. Une ambiance délétère de stigmatisation de la communauté musulmane pourrait donner naissance, si des esprits éclairés ne se manifestent, à une tragédie universelle aux conséquences incalculables. Un fumet de « choc de civilisation » monte à nouveau en France.

Il est évident que je ne vais pas m’appesantir sur l’état de la France, une nation conservatrice, traumatisée, résiliente et les prises de parole publiques doivent être à mon sens responsable. En ce qui me concerne, Il n’y aura pas de libelles enflammés, il n’y aura que la prise de parole responsable, révisable, interrogeable, discutable, critiquable, contestable, avec une volonté et une décence commune de sortir par le haut d’une crise qui a assez duré et qui connaît des soubresauts et l’épisode que nous connaissons maintenant connaît des convulsions paroxystiques.

Il s’agit plutôt de défendre le compréhensible et de condamner le condamnable et aussi de promouvoir le triptyque républicain liberté, égalité, fraternité, en incluant un autre corpus de valeur : solidarité, entraide, bienveillance. Et j’ai toujours appris que dans une solution de conflits d’affrontement, de « belligérance », il faut voir d’abord si on se prévaut d’une éthique, d’une justice et d’une dignité humaine.

Être humain est une tâche, un devoir lequel se remplit dans la réciprocité. Il faut que nous parions les uns sur les autres et que nous ayons confiance les uns dans les autres pour s’améliorer les uns par les autres, les uns aux miroirs des autres. C’est cette foi en l’autre qui rend possible la solidarité et qui donne sens à l’existence humaine. C’est en interrogeant mon rapport à autrui que je prends conscience de la dimension éthique de toute existence humaine. C’est ce questionnement qui a conduit un philosophe comme Emmanuel Lévinas* à penser qu’autrui vaut plus que moi, qu’il est plus que mon alter ego, qu’il passe avant moi …

Pour rafraichir votre mémoire, Monsieur le Président,

Mandela, devenu président, a opté pour la construction d’une nouvelle Afrique du sud arc-en-ciel, il a mis en avant une exigence éthique basée sur les différences sans esprit de vengeance, dans le respect, la compréhension et l’ouverture d’esprit. Il s’est voulu un homme de rassemblement et de dialogue entre tous les citoyens qui partagent le même idéal, les mêmes valeurs de paix et d’amour. Il a rejeté les amalgames et la superficialité des discours et marquer avec vigueur son refus de la logique de confrontation entre les noirs et les blancs. Il n’a pas voulu d’un ethno-nationalisme noir qui aurait signifié une vengeance contre les afrikaners.

Monsieur le Président, ce qui se passe actuellement en France, à priori une affaire purement franco française, nous intéressent au plus haut niveau et impliquent particulièrement tout le Maghreb.  Hamouda Ben Slama* l’a bien souligné dans une tribune, « (…) Il y a une telle communauté de liens et d’intérêts entre la France et son environnement régional qui est en jeu et en danger et que l’approche ne devrait pas se limiter à ne prendre en considération que le seul argument de l’affaire intérieure française qui ne souffrait d’aucune ingérence ! »

Pour vous rafraichir votre mémoire, Monsieur le Président,

la devise française, liberté, égalité, fraternité est devenue également la devise des nations colonisées qui ont mené la guerre de décolonisation au nom des mêmes lumières dont la France en particulier a omis de les importer au reste de l’humanité. Ces pays ont combattu le colonialisme au nom des lumières. Au nom de la devise française que des centaines de milliers Nord-Africains, choyés durant cette période et entourés de toutes les sollicitations, ont courageusement combattu pendant la 2ème guerre mondiale l’occupant allemand pour libérer la France.

Définir les lumières et la devise liberté, égalité, fraternité comme des valeurs des pays de civilité européens et ne valent pas pour les pays ex-colonisés « barbares » est tout simplement une forme de trahison de ces valeurs mêmes que vous essayez de défendre.

La multiplication du populisme ou l’ethno-nationalisme constitue un retour à l’apartheid, des murs à construire pour empêcher un groupe racial de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et le priver de droits et de libertés fondamentales.

Le philosophe Henri Bergson* en particulier apporte le plus précieux éclairage sur l’ethno-nationalisme. Il nous enseigne que le refus radical d’entendre la question de l’humanité se fonde sur le refus de l’idée même d’une humanité en général au nom de laquelle pourrait s’articuler ou à se justifier une obligation d’hospitalité, de solidarité, d’ouverture, de respect, de réciprocité, de justice, d’égalité…

L’écrivain et philosophe Albert Camus* disait :

« La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. Vous avez cru que tout pouvait se mettre en chiffre et en formule ! Mais dans votre belle nomenclature, vous avez oublié la rose sauvage, les signes du ciel, les visages d’été, les instants du déchirement et la colère des hommes ! Ne riez pas, imbécile. (…) Le réflexe a remplacé la réflexion, où l’on pense à coup de slogans et où la méchanceté essaie trop souvent de se faire passer pour l’intelligence. »

Où est passé notre humanité ? s’est exclamé Nicolas Hulot* « La France, jadis patrie des droits de l’homme, n’est-elle devenue que le pays de la déclaration des droits de l’homme ? (…)  Est-ce la peur légitime du terrorisme que nous reportons abusivement sur ce phénomène ? Sommes-nous prisonniers de nos amalgames ? (…) Maudits soient nos yeux fermés ! Ce qui fait souvent défaut aux dirigeants français, c’est le manque de compassion, d’humanisme… Il est bien connu que les personnes « heureuses » n’aiment pas qu’on leur parle de choses tristes. La douleur des faibles se renforce de la faiblesse et de l’indifférence des nantis. »

Où est passé la bonté, la générosité, l’altruisme, la « bienveillance » de la France. Où est passé ce grand pays bâtisseur de liberté, de démocratie, de solidarité, d’entente cordiale et de convergence des différences au-delà de toutes les cultures, de toutes les identités et de toutes les confessions.

Où est passé ce grand pays qui était devenu au fil du temps un carrefour où on parlait avant tout de l’homme et de ces valeurs sans dogme et sans idéologie, en pleine liberté.

Où est passé ce grand pays qui était synonyme de vivre ensemble, de respect, de culture, de dialogue, de la connaissance et de la reconnaissance de l’Autre.

Dans un contexte culturel de dépersonnalisation, quand le vivre ensemble flageole, quand la fierté d’appartenir à un idéal universel s’estompe, quand l’idéale d’une humanité à faire ensemble qui semble être la promesse d’un monde meilleur par la chute du mur de Berlin et la fin de l’apartheid sud-africain est tout simplement banni, on comprend le retour de l’ethno-nationalisme qui provoque des tragédies haineuses et de rejet de l’autre.

Pour être tout à fait franc, Monsieur le Président, ces derniers temps, j’ai été surpris et très agacé par quelques-unes de vos déclarations, propositions et suggestions et celles de quelques ministres, journalistes et intellectuels dans le débat sur le séparatisme ou après l’assassinat de Samuel Paty. Tantôt, on parle d’amender la Constitution ; le ministre de l’intérieur s’inquiète des « rayons de cuisine halal » dans les hypermarchés ; des journalistes réclament qu’on fasse taire le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel, la Cour européenne de justice afin que plus rien ne puisse entraver les arrêtés administratifs arbitraires envers les « musulmans ».

En lisant votre discours, Monsieur le Président, du 21/10/2020, en hommage et à la mémoire de Samuel Paty, je peux vous assurer que nous aussi, nous n’avons pas eu de mots « pour évoquer la lutte contre l’islamisme politique, radical, qui mène jusqu’au terrorisme ».

L’assassinat de Samuel Paty, décapité sauvagement, le 16 octobre 2020, aux Yvelines en France, perpétré par un fanatique musulman d’origine tchétchène, un tragique évènement qui a mis à rude épreuve notre humanité. Et il faut bien admettre qu’en tant que musulman, je me sens directement concerné par ce tragique évènement, je me sens vraiment très peiné et consterné plus que quiconque par ce genre d’actes très odieux. Nous assistons, passifs et impuissants, à une cascade de l’horreur. C’est à qui innovera en barbarie et en vengeance. Certes, ce genre d’actes est perpétré au nom d’une idéologie qui n’a rien à voir avec l’Islam, qui est aux antipodes de l’éthique de notre religieux, mais la revendication religieuse explicite de leurs auteurs reste très éprouvante pour la conscience de la majorité des musulmans.
Je condamne évidement cet abominable attentat et je considère comme vous, Monsieur le Président, que les libertés d’expression et d’opinion sont au fondement des droits humains universels auxquels je souscris totalement.

Sauf que l’amalgame malheureux que vous avez établi de fait et fut-ce implicitement entre l’Islam et terrorisme et votre engagement public à ne pas renoncer aux caricatures qui sont perçues comme provocation et offense injurieuse au prophète et à l’Islam par tous les musulmans – de foi et de culture – avec des termes démesurés d’une laïcité outrancière nous a vraiment surpris par son ampleur. De ce fait, vous avez pris fait et cause pour la transgression.

Par vos propos, Monsieur le Président,

celui d’une partie de la classe politique, des médias et de nombreux intellectuels français, la loi de 1905 codifiant la laïcité (la séparation de l’Eglise et de l’Etat) a été dénaturée, pervertie, jusqu’à être totalement dévoyée. Rappelons que cette loi stipule dans son article premier : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. ».

Traditionnellement, la laïcité française exige de l’État une neutralité et appelle au respect des religions dans l’espace public, afin d’éviter la montée de l’intolérance religieuse. Elle ne promeut pas la haine des religions ou des croyants, ni l’injure, ni la stigmatisation ou l’ostracisation d’une partie de vos concitoyens du fait de leurs convictions religieuses. Et c’est tant mieux que ça soit ainsi, car la laïcité n’est pas une valeur, c’est un principe, un principe juridique sans épaisseur idéologique et sans densité doctrinale, c’est un principe juridique qui garantit la liberté, la laïcité avant tout essentiellement un principe de liberté de croire ou ne pas croire et de pouvoir changer de croyance. Ce principe juridique a été résumé de la plus belle manière par Ghaleb Bencheikh* par cette phrase anthologique :

« c’est la loi qui garantit le libre exercice de la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi et le primat reste toujours à la loi par rapport à la foi ».

Mais à l’époque actuelle, elle est devenue beaucoup plus radicale. Les nouveaux idéologues de la laïcité ont entièrement altéré le sens de la notion comme elle a été définie par la loi de 1905.

Selon les professeurs de droit Stéphane Hennette-Auchez et Vincent Valentin, auteur d’un ouvrage sur la question, écrit dans le prolongement de l’affaire Baby Loup*(1), cette « nouvelle laïcité » est, contrairement à celle issue de la loi de 1905, « dans une logique de contrôle. Elle veut neutraliser tout ce qui, dans le religieux, différencie, singularise. On mobilise la laïcité pour aseptiser le religieux, perçu comme un microbe qui corrompt le vivre ensemble.

Les partisans de la « nouvelle laïcité » associent ainsi la laïcité à la « sécularisation » de la société. Voir quelque chose qui ressemble à une religion civile ou davantage à une société « athée ».

Si la « nouvelle laïcité » devient la philosophie de l’Etat français, c’est qu’elle acquiert une épaisseur idéologique doctrinale par définition auquel cas, elle rivalise avec les doctrines en place. Or, ce n’est pas son rôle, ce n’est pas sa vocation. La laïcité ne peut pas être une catégorie parmi les autres catégories, c’est un principe qui transcende les différentes catégories. Ce n’est pas une doctrine qui s’ajoute à d’autres, c’est un principe qui permet aux différentes doctrines de se rencontrer, de débattre, de se confronter au sens de la disputation des intellectuels latins.

Le triptyque républicain ou la devise républicaine la triade liberté, égalité, fraternité devient de ce fait, liberté, égalité, laïcité. Oui sauf que les deux premières sont des valeurs et la troisième un principe !!!

La laïcité dans ces états, à l’épreuve des amalgames des nouveaux idéologues français.

Monsieur le Président, si la liberté d’expression est un droit fondamental en France, l’insulte et la diffamation sont des délits. L’injure n’a rien à voir avec la liberté d’expression, laquelle est strictement encadrée, justement pour empêcher les dérives. Il est en effet clairement établi dans l’article 29 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse que l’injure et la diffamation sont passibles de prison et d’amendes. « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure » et « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ».

Votre discours, Monsieur le Président,

selon lequel Samuel Paty ne faisait que son travail, que son devoir républicain, et qu’il enseignait à ses élèves la tolérance et la liberté d’expression pour les rendre aptes à vivre dans un monde multiracial et multiconfessionnel est complétement coupé de la réalité et du bon sens et surtout un discours très dangereux.

Samuel Paty, pour illustrer son cours d’EMC (enseignement moral et civique) a choisi le dessin le plus ordurier, le plus obscène, le plus incendiaire de toute la série des caricatures de notre prophète Mohammed. Je me demande ce que cela est supposé apporter, réellement, aux élèves. J’avoue que je ne comprends pas ce qui est intelligeant, signifiant, pertinent, spirituel, ou tout simplement drôle dans ce dessin. Je ne vois, Monsieur le Président, qu’insulte, injures, humiliation, rejet et haine de l’autre, intolérance

Comme l’a bien décrit l’une des grandes figures journalistiques en France, Mr Arno Mansouri*(2), « le dessin est tout simplement qualifié de pornographique. Figurer le fondateur d’une religion dans sa nudité la plus crue (bite et couilles poilues pendantes) et la plus crasse (goutte pendant du pénis), quand on sait l’importance de la pudeur dans le monde musulman est bien au-delà de l’irrespect. Détourner la position physique d’un musulman en prière (c’est-à-dire dans l’attitude humble de soumission devant son Créateur) en le montrant en levrette, c’est-à-dire en faisant un sujet de lascivité (voire de luxure) est le comble de l’injure. Mais je dirais que le pire aspect de ce dessin est de réduire le prophète (symbolisé par sa barbe et son turban) à son anus (« une étoile est née »), dont la fonction physiologique est d’excréter les déjections. »

Samuel Paty ne défendait pas la liberté d’expression, mais insultait tous les musulmans. Nous ne pouvons ni soutenir les intégristes islamistes qui l’ont abjectement assassiné, ni les intégristes laïcs qui glorifient les caricatures et méprisent les religions et les croyants.

Dans votre discours, Monsieur le Président,

vous avez déclaré que « Samuel Paty incarnait au fond le professeur dont rêvait Jaurès… ». C’est vraiment mal connaître Jean Jaurès qui dans le 1er éditorial de l’humanité qu’il a fondé a défini le Socialisme comme une promesse d’une nation reconciliée, se reconnaissant comme des lambeaux d’une humanité commune qui se respecte… Étique, utopie, spiritualité était la devise de Jean Jaurès.

Pour préserver et universaliser la véritable liberté d’expression, qui devrait tenir compte de celle de l’autre, inculquez les textes d’anthologie qui transcendent et humanisent, Samuel Patty « chercheur en pédagogie » aurait dû s’inspirer des grandes figures notamment françaises ; Albert Camus, Jaurès, Bergson, Rabelais, l’Empereur Napoléon Bonaparte, Diderot…

Samuel Patty aurait dû proposer à ses élèves à découvrir, par exemple, le merveilleux poème méconnu, mais sublissime que Victor Hugo* a écrit, dans le cadre de la légende des Siècles / L’An neuf de l’Hégire, sur la mort du prophète Mohammed en 1858.  C’est une véritable merveille à faire découvrir surtout à des élèves qui ne connaissent rien des religieux et principalement de l’Islam. Voici quelques vers de cette ode à un saint homme :

(…) Il semblait l’éden, l’âge d’amour,
Les temps antérieurs, l’ère immémoriale.
Il avait le front haut, la joue impériale,
Le sourcil chauve, l’œil profond et diligent,
Le cou pareil au col d’une amphore d’argent,
L’air d’un Noé qui sait le secret du déluge.
Si des hommes venaient le consulter, ce juge
Laissant l’un affirmer, l’autre rire et nier,
Ecouter en silence et parlait le dernier.
Lui reprit : « Sur ma mort, les Anges délibèrent ;
L’heure arrive. Ecoutez. Si j’ai de l’un de vous
Mal parlé, qu’il se lève, ô peuple, et devant tous
Qu’il m’insulte et m’outrage avant que je m’échappe,
Si j’ai frappé quelqu’un, que celui-là ma frappe »
(…) Et l’Ange de la mort vers le soir à la porte
Apparut, demandant qu’on lui permît d’enter.
« Qu’il entre. » On vit alors son regard s’éclairer
De la même clarté <brqu’au jour de sa naissance ;
Et l’Ange lui dit :
« Dieu désire ta présence.
-- Bien », dit-il. Un frisson sur les tempes courut,
Un souffle ouvrit sa lèvre, et Mahomet mourut. »

Samuel Patty aurait pu faire connaître à ses élèves le livre majestueux que Alphonse De Lamartine* a écrit sur la « la vie de Mahomet », un écrivain épris de liberté et de valeurs républicaines, engagé dans la lutte contre les injustices et soucieux de dissiper les préjugés encrés dans les esprits des français. Voici quelques extraits :

« Jamais homme ne se proposa volontairement ou involontairement un but plus sublime, puisque ce but était surhumain : sapez les superstitions interposées entre la créature et le Créateur, rendre Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, restaurer l’idée rationnelle et sainte de la Divinité dans ce chaos de dieux matériels et défigurés de l’idolâtrie.

(…) Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mohammad ? Les plus fameux n’ont remué que des armes, des lois, des empires ; ils n’ont fondé (quand ils ont fondé quelque chose) que des puissances matérielles écroulées souvent avant eux.

(…) Ce fut cette conviction qui lui donna la puissance de restaurer un dogme. Ce dogme était double, l’unité de Dieu et l’immatérialité de Dieu ; l’un disant ce que Dieu est, l’autre disant ce qu’il n’est pas ; l’un renversant avec le sabre des dieux mensongers, l’autre inaugurant avec la parole une idée !

Samuel Patty aurait dû s’inspirer des belles paroles de l’Empereur Napoléon Bonaparte* qui était très sensible au dernier des prophètes et à son message. « A un certain moment de l’histoire, apparut un homme appelé « Mohamed ». Et cet homme a dit la même chose que Moïse, Jésus, et tous les autres prophètes : il n’y a qu’un Dieu. C’était le message de l’Islam. L’Islam est la vraie religion »

« Oui, il existe une cause divine, une raison souveraine, un être infini : cette cause est la cause des causes, cette raison est la raison créatrice de l’intelligence. Il existe un être infini, auprès duquel, moi Napoléon avec tout mon génie, je suis un vrai rien, un pur néant, entendez-vous ? Je le sens, ce Dieu, je le vois, j’en ai besoin, j’y crois ».

Samuel Patty aurait dû suggérer les lettres élogieuses de Montesquieu* qui a écrit en particulier : « Il n’y a rien de si merveilleux que la naissance de Mahomet. Dieu, qui par les décrets de sa providence avait résolu dès le commencement d’envoyer aux hommes ce grand prophète pour enchaîner Satan, créa une lumière deux mille ans avant Adam, qui passant d’élu en élu, d’ancêtre en ancêtre de Mahomet, parvint enfin jusque à lui comme un témoignage authentique qu’il était descendu des patriarches ».

Enfin, Samuel Patty aurait dû s’imposer le comportement et la droiture du romancier allemand Goethe* qui en 1885, a dit :

« Aussi souvent que nous le lisons (le Coran), au départ et à chaque fois, il nous repousse. Mais soudain, il séduit, étonne et finit par forcer notre révérence. Son style, en harmonie avec son contenu et son objectif, est sévère, grandiose, terrible, à jamais sublime. »

Toutes ces personnalités et bien d’autres n’auraient surement pas approuvé l’usage public et officiel de caricatures antireligieuses. Leur idéal était de combattre l’intolérance et les préjugés, mettre en œuvre un esprit de concorde et de coexistence pacifique de toutes les confessions qui se respecteraient mutuellement dans l’espace public.

Votre discours de colère, Monsieur le Président,

a été une belle promotion du blasphème religieux, et delà a élargi la brèche de l’intolérance et du rejet de l’autre, surtout si l’autre est différent par sa couleur, sa culture, sa religion…

Des politiciens inconscients ou délibérément provocateurs n’ont pas hésité à demander que ces caricatures soient montrées dans toutes les écoles.

Ainsi le 21 octobre, les hôtels de région- de Toulouse et de Montpellier projetèrent sur leur façade des caricatures de Charlie Hebdo visant notamment l’islam.

Est-il opportun d’afficher dans l’espace public, et à fortiori sur des bâtiments officiels, en guise d’étendard, des images tournant en dérision la religion musulmane et susceptibles de choquer ses fidèles ?

J’ai l’impression Monsieur le Président que vous avez un véritable problème de lecture, de compréhension et d’usage de l’islam comme éthique de vie en général

De grâce un peu de sagesse, un peu de raison, un peu de volonté d’aller de l’avant et de froideur d’esprit. Vous pouvez tout essayer pour faire disparaître les religions du paysage français, mais, en attendant, leur existence est un fait constitutif de votre passé et de votre présent, et votre avenir ne pourra se construire que sur la sanctuarisation d’un espace public non offensif, accueillant à tous et apaisé, c’est-à-dire pleinement laïque.

Un homme de foi de l’Ouest Africain, Chernobactale, disait : « L’Islam est comme l’eau, l’eau n’a pas de couleur, mais elle a également toutes les couleurs car elle prend toujours les couleurs des paysages qu’elle traverse ». Nous pouvons interpréter cette belle parole de plusieurs façons différentes. Mais, la façon la plus évidente et la plus simple, c’est se trouver en humanité à n’importe quel endroit où on se trouve. Faire humanité ensemble est tout simplement la devise de l’Islam.

Je me permets de vous conseiller, Monsieur le Président,

de monter un think-tank pour lancer des réflexions sur des thématiques sensibles comme la religion, l’immigration, les principes de démocratie, l’éducation, la liberté d’expression et la laïcité qui ne promeuvent ni haine des religieux, ni injure, ni stigmatisation…

Je me permets de vous conseiller, Monsieur le Président,

de concevoir une Cité où il faut enseigner une philosophie d’être ensemble, bannir l’individualisme et l’égoïsme qui caractérisent hélas une grande partie des français de « souche », où il faut voir dans l’immigrant, non pas celui ou celle que je constitue radicalement comme noir ou café-crème par sa couleur, par sa langue, sa culture ou sa religion, mais celui ou celle au miroir de qui je mesure et je réalise mon humanité et je constitue cet humanisme par la réciprocité.

N’est-ce-pas justement parce que nous saisirons à bras-le-corps de ce qui est le noyau dur de nos différences que nous pourrons, ensemble, imaginer des solutions nouvelles qui iront dans la voie de faire l’humanité ensemble.

Monsieur le Président, est-ce que nous sommes ensemble dans la méfiance, dans la défiance, dans le déni, dans la crispation, dans le communautarisme… Ou on veut être ensemble telle une mosaïque humaine vivante en symbiose, en osmose avec une synergie et un engagement commun pour assoir les fondations d’une nation commune solidaire, fraternelle et prospère pour tous.

Toutefois, Monsieur le Président, un avertissement s’impose : « L’humanité, au-delà de la griserie qu’elle suscite, est toujours douloureuse quand l’on s’efforce de la construire dans le réel » *. Qui vivra verra !!!

Jalal Boubker Bennani

INFORMATION SUR LA SOURCE

  • Emmanuel Levinas, philosophe, « Totalité et infini », essai sur l’extériorité.
  • Hamouda Ben Slama, homme politique tunisien, membre fondateur du     journal Errai et ancien Secrétaire Général de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme.
  • Henri-Louis Bergson, philosophe, hostile au positivisme matérialiste, retour aux données immédiates de la conscience.
  • Albert Camus, écrivain et philosophe. « L’ÉTRANGER », Gallimard.
  • Nicolas Hulot, journaliste, écrivain et homme politique français.
  • Ghaleb Bencheikh, Islamologue, réformateur de l’Islam libéral, président de la Fondation de l’islam de France, producteur de l’émission « Questions d’islam ».
  • Stéphane Hennette Vauchez et Vincent Valentin, « L’Affaire Baby Loup ou la Nouvelle Laïcité », éditeur : L.G.D.J
  • Arno Mansouri, directeur des éditions Demi-lune dont la collection Résistances fait référence en matière géopolitique. Arno Mansouri dont la ténacité et le franc parler découragent souvent les tenants de la pensée dominante, est auteur de plusieurs livres dont « JFK et l’indicible de James W. Douglass », un véritable thriller politique.
  • Victor Hugo, poète, dramaturge, écrivain, romancier et homme politique français. « Victor Hugo et la mort de Mahomet » par Alain Gresh.
  • Alphonse de Lamartine, poète, romancier, dramaturge français. « Le prophète Mahomet selon Lamartine ».
  • Bonapart Napoléon, Empereur français (1769-1821), « Napoléon sur le divan » par Dimitri Casali.
  • Montesquieu, penseur politique, précurseur de la sociologie, philosophe et écrivain français des Lumières.
  • Johann Von Goethe, romancier, dramaturge, poète, scientifique et homme   d’État allemand. « Conversations de GOETHE avec Eckermann.
  • Driss Ksikes, journaliste et écrivain. « Au détroit d’Averroès », Fayard, 2019.
  • René-Jean Dupuy, juriste « L’Humanité dans l’imaginaire des nations », Julliard
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